Altay : créez pour vous évader
Salut Altay, peux-tu te (re) présenter en quelques lignes ?
Je suis un rôliste trentenaire avec un chat nommé Nobu, un métier normal et des activités bizarres : concepteur de murder parties, improvisateur au théâtre, auteur de jeux de rôle. Parfois, je joue.
Qu’est-ce qui t’a poussé à participer au Défi 3 Fois Forgé ?
C’est ma cinquième participation, je connaissais le défi et je savais dans quoi je m’engageais. C’est un exercice qui stimule la créativité, donc j’ai naturellement rempilé pour une nouvelle édition.
Première étape : un jeu de rôle de 6666 signes max
Quels étaient tes objectifs lors de l’écriture de Linguomancie que tu as offert pour qu’il soit déformé (etc.) ?
Je réfléchissais de longue date à un bac à sable d’exploration qui ne soit pas centré sur le combat, comme c’est souvent le cas. Par exemple, Oltréé est super mais les PJ appartiennent à une organisation militaire ce qui oriente implicitement les scénarios. Au départ, les PJ de Linguomancie étaient des archéologues devant documenter les cultures de différentes peuplades fantastiques.
Malheureusement, le principe des « excavations » axait encore le jeu autour des donjons anciens et inhabités, trop à mon goût. J’ai donc pris un virage pour m’orienter vers l’étude anthropologique des langues. J’y ai incorporé une ébauche de système de magie tournant autour du langage afin d’encourager mécaniquement les personnages à apprendre ces langues extraordinaires.
Ton opinion sur ce qu’il est devenu ?
Linguomanciens (9e)
Proclamé par l’Empereur Kazar le Malavisé, l’édit de l’unanimité devait garantir la fraternité entre les peuples. Mais le monde se disloque, et son salut se trouve dans les langues interdites. Vous seuls pouvez rendre ses couleurs au Jardin Secret.
Suncyam a donné une seconde impulsion assez différente : dans sa version, les langues magiques ont disparu, effacées par un dictat impérial qui a décrété une langue unique. De mon point de vue, c’est une régression car on y perd l’aspect vivant de découvrir une culture en s’immergeant dans le quotidien des gens.
J’apprécie tout de même la proposition qui introduit un sous-texte riche sur la multiculturalité. Suncyam file une métaphore très évocatrice autour du « jardinage » pour désigner l’apprentissage des langues interdites. Le système de magie est ingénieux et fonctionne par agglomération de mots connus. Par exemple connaître « création » et « fantôme » permet de lancer des sorts d’illusion.
Cette deuxième forge dévie de ma direction initiale et c’est ce qui fait le charme du Défi. Mon principal regret est l’abandon de l’écriture inclusive, à laquelle j’apporte un grand soin dans mes propres productions.
Pour la troisième forge, Paymon a développé Linguomanciens en suivant la voie tracée par Suncyam. J’aime beaucoup l’idée d’un Grimoire de sortilèges divisé en « Herbier » (un dictionnaire), « Parterre » (un lexique d’expressions) et « Verger » (un atlas des langues). Sur la forme, la maquette est jolie et les explications des règles sont fluides, c’est un beau produit.
Quel accueil la dernière version a-t-elle reçue ?
Le jeu a été bien accueilli, se hissant à la 9e place du défi. Le système de magie par composition de mots suscite de la curiosité chez beaucoup de gens, moi compris ! L’adoption du champ lexical du jardinage et de la botanique ajoute une touche de poésie à laquelle je n’avais absolument pas pensé. C’est vraiment du bon travail.
Vas-tu produire une autre version de ta première « Forge » ?
Il est probable que oui. J’ai encore envie de creuser un jeu d’exploration anthropologique où chaque langue est unique. Je réfléchis notamment aux particularités des langues non-humanoïdes et comment différentes peuplades adaptent leur mode de communication à leur nature et leur environnement. Les dragons et les elfes ne parlent non seulement pas la même langue, mais leur magie est également très différente. Quelles conséquences ces particularités ont sur la vie quotidienne ? Est-ce qu’une humaine peut parler le draconique sans brûler de l’intérieur ? Est-ce qu’un démon peut exprimer des sentiments positifs, comme la joie ou l’amour ? On sait que la langue que l’on utilise change littéralement notre façon de penser ; alors l’impact sur le type de magie que l’on pratique doit être énorme !
Deuxième étape : reprendre un JdR et en créer un de 11000 à 14500 signes
Comment as-tu perçu Mr. Kaplan, que tu as reçu pour l’étape 2 ?
À son arrivée sur mon enclume, Mr. Kaplan de Germi était déjà un jeu efficace. Les PJ viennent nettoyer des scènes de crime et effacer les traces qui permettraient à la police de mener l’enquête.
J’aime beaucoup les histoires de gangsters mais je reconnais avoir séché sur quoi faire du jeu. Les sources d’inspiration mentionnaient presque exclusivement des anti-héros solitaires (John Wick, Mike de Breaking Bad, M. Wolf de Pulp Fiction, etc.). Comment j’allais bien pouvoir faire jouer des histoires de ce style à un groupe de personnages ?
Qu’as-tu changé et pourquoi ?
D’abord, j’ai maquillé le jeu sous une couche de vernis : il s’appelle désormais Extreme Cleanup Detailing Crew (EC/DC pour les intimes), en hommage à ces émissions sensationnalistes des chaînes câblées, du genre Transports de l’extrême ou 24h pour nettoyer la maison la plus sale de France. Ce format se prête bien à avoir un groupe de spécialistes qui ont chacun leur petite séquence de gloire durant l’émission.
Concernant les règles, Germi avait introduit un système de résolution à base de cartes, qui m’a bien inspiré.
J’y ai incorporé des morceaux d’un système inspiré par le blackjack que j’avais imaginé il y a quelques années pour gérer la magie d’un jeu jamais publié. C’est devenu le système actuel : on a des cartes en main, on en pose de sorte à viser 21 et ne surtout pas dépasser. Mais une fois que le talon de cartes est vide, c’est fini : les flics débarquent sur les lieux du crime avant la fin du nettoyage et que la mission a échoué. Il y a donc un aspect « stop ou encore », qui implique de bien choisir ses actions, au risque d’épuiser les ressources prématurément.
Ton opinion sur ce qu’il est devenu en 3e étape et l’accueil que ce jeu a reçu ?
Extreme Cleanup Detailing Crew (11e)
Extreme Cleanup Detailing Crew (abrégé en EC/DC) est une émission de télé qui suit une équipe de nettoyage spécialisée dans les scènes de crimes.
Les joueuses incarnent un groupe de Nettoyeurs qui réalisent différentes missions pour le compte de la Showrunner, incarnée par la meneuse.
J’adore les petites touches que Velvet Wombat a ajouté à EC/DC, aussi bien les citations qui parsèment les différents chapitres que les étoiles pour représenter la présence des flics, comme dans Grand Theft Auto. Ça donne le ton du jeu : gangster mais drôle. Les pitchs de scénario sont super imaginatifs et je suis content de voir que le jeu a réussi à converger vers quelque chose auquel j’ai envie de jouer.
EC/DC est arrivé 11e du défi ce qui est plutôt bien. Je suis content de voir que la mécanique de « comptage de cartes » a rencontré du succès dans les évaluations, tout comme le côté émission de télé. J’avais peur que ces deux aspects soient un peu « bancaux » mais Velvet Wombat a mis le paquet dedans et ça paie. C’est vraiment une bonne surprise parce que ma 2e forge était celle pour laquelle j’étais le moins satisfait de celles que j’avais rendu.
Vas-tu produire une nouvelle version de EC/DC ?
Je ne pense pas. Je trouve que la forge de Velvet Wombat est déjà bien aboutie et je n’ai pas grand-chose à y ajouter. C’est toute la beauté de la création collective.
Troisième étape : récupérer un JdR de 2e étape et le passer à 28000 signes max
Quelle fut ta réaction en recevant Director’s Cut que tu devais développer et qui allait être jugé ?
Director’s Cut de Kergan est un jeu qui ne colle pas du tout à mes habitudes : pas de MJ, purement narratif, façon Fiasco. L’idée était simple : les PJ sont responsables du tournage d’un film. Les obstacles sont tirés sur une table aléatoire et il faut dépenser des ressources en quantité limitée pour les résoudre, sans tomber dans le burn-out.
J’ai tourné en rond pendant plusieurs jours sans savoir quoi en faire. Le thème du cinéma ne m’inspirait pas vraiment d’idées nouvelles, d’autant que la forge de Kergan était très complète. La mécanique était fonctionnelle et le sous-texte sur le compromis entre vision de l’artiste, contraintes financières et censure des studios était déjà riche. En fait, cette seconde forge tenait déjà parfaitement la route donc c’était difficile de trouver quoi ajouter sans détériorer le jeu.
J’ai gribouillé quelques idées sans conviction puis j’ai laissé décanter une semaine. Puis dix jours. Une semaine avant la date limite de rendu, je n’avais pas avancé. Honnêtement, j’ai failli jeter l’éponge.
Qu’en as-tu fait ?
Director's Cut (1er)
Un jeu de rôles où vous incarnez l’équipe de réalisation d’un long-métrage ! Vous ferez face aux aléas de la production, qui vous conduiront à improviser, rectifier, monter, et altérer votre œuvre au point de la rendre méconnaissable. Un jeu de contraintes, de remise en question, de compromis.
J’ai pris le jeu sous un angle purement mécanique. Mon problème avec les jeux narratifs est que j’ai du mal, en tant que joueur, à imposer des obstacles à mon personnage. Donc j’ai réfléchi à une mécanique de score qui récompense les joueuses qui mettent leur personnage dans la mouise.
Dans ma forge, chaque joueuse de Director’s Cut est responsable d’un département (les effets spéciaux, la réalisation, le casting, etc.) et marque des points en surmontant des complications. Le jeu devient semi-compétitif : pour qu’un film soit bon, il faut qu’il n’ait aucun défaut. Mais pour qu’on se souvienne de la musique, il faut que la bande-son soit vraiment excellente et donc que la joueuse qui s’occupe de ce département surmonte plus de problèmes que les autres.
Pour le reste, j’ai peaufiné les bases introduites par Kergan. J’ai multiplié le nombre de tables aléatoires pour que ce soit facile à prendre en main, même quand on n’a pas d’idée de complications plausibles pour un tournage de film, tout en laissant la possibilité de jouer en freeform narratif pour les spécialistes.
Je me suis fait plaisir sur la maquette, en reprenant le joli fond de pellicule déniché par Kergan et en l’agrémentant de belles illustrations que j’ai passé en noir et blanc avec un effet de grain pour l’aspect cinoche.
Pour la fiche de perso, j’ai fait simple : un badge du crew pour le tournage.
Et j’ai repris un modèle de vraie call sheet de tournage pour le tableau qui permet de lister les scènes, les décors, le casting, etc. Rétrospectivement, j’ai enfoncé le clou sur l’aspect meta. Director’s Cut est un jeu en création partagée qui parle d’un exercice de création collective : un tournage de cinéma.
Quand Director’s Cut est parti en finale, quels ont été les retours des pairs et du jury ?
Une des principales critiques était la ressemblance avec Bimbo / Ultime Vengeance 3D / Brain Soda / Fiasco. Respectueusement, je ne suis pas tout à fait d’accord. Les trois premiers jeux émulent des films de genre dont ils reprennent des codes (notamment films d’action et d’horreur). Néanmoins, l’emphase est mise sur l’histoire racontée dans le film. Director’s Cut se focalise sur l’histoire du tournage du film.
Cette distinction est capitale dans la démarche de Kergan. Il y a forcément des recoupements dans le lexique utilisé mais la finalité des règles n’est pas du tout la même.
Dans Director’s Cut, on parle des dilemmes et des déchirements provoquées par les concessions que l’on doit faire quand on créé une œuvre à plusieurs. C’est quelque chose qui est absent des jeux précités.
En revanche, je reconnais volontiers une filiation avec Fiasco (le jeu de rôle) pour les mécaniques de jeu, tout comme une inspiration non négligeable de Fiasco (la série) qui raconte le tournage d’un film qui part en sucette.
À part ce point qui m’a fait (un peu) tiquer, les retours des pairs ont été comme d’habitude super bienveillants, que ce soit concernant le visuel, les règles ou les mécaniques. Le principe du jeu et sa thématique ont bien reçus.
Le jury a été particulièrement élogieux (et j’en suis le premier surpris !), allant même jusqu’à trouver que le jeu était une représentation fidèle du milieu du cinéma. C’est un compliment magnifique qui me fait chaud au cœur.
Les retours t’aideront-ils à écrire une 4e version ce jeu ?
Oui. Déjà pour corriger certains défauts de la maquette, qui est mon point faible récurrent. Ensuite pour intégrer des éléments omis faute de places, y compris certains qui ont été réclamés dans les retours : introduction au jeu de rôle narratif, tables spécifiques à un genre particulier (western, polar, comédie romantique, etc.), règle pour encourager le roleplay et surtout un schéma récapitulatif du déroulé d’une partie. Tout a été coupé au montage afin de respecter le signage !
Le retour de Thomas Munier m’a encouragé à lire son jeu, A cursed movie in the Deep and Wild itch, qui adapte Pour la Reine au tournage d’un film d’horreur façon Projet Blair Witch. Il introduit de nombreux éléments narratifs que je vais piller sans vergogne pour alimenter de nouvelles tables aléatoires.
En résumé, oui, il y aura un jour une version « Director’s Cut » de Director’s Cut.
Notation des pairs
Parmi les jeux que tu as notés, lesquels recommanderais-tu ?
Je suis peut-être un peu exigeant, j’ai mis à peu près la même note aux jeux que j’ai noté. Toutefois, je dirais qu’Esprits de la ville sort du lot, ne serait-ce que par sa thématique « urbanisme magique » qui m’a emmené dans des recoins inattendus de la rôlisterie. C’est une proposition unique dans tout ce que j’ai pu lire jusqu’ici et qui a un potentiel incroyable, même si la version actuelle ne m’a pas entièrement convaincu.
Esprits de la Ville (16e)
Un classique qui a maintes fois fait ses preuves lors du dernier quart de siècle.
Pratique, il sera adapté à tout conseil municipal un tant soit peu sérieux qui désire invoquer les Esprits protecteurs pour préserver la Vie de quartier sur son territoire.
Parmi les jeux que je n’ai pas notés, je recommande chaudement L’illégaliste de Germi [arrivé 4e], qui permet de jouer les membres d’un courant anarchiste révolutionnaire qui prônait le banditisme au début du XXe siècle. C’est un courant de pensée assez méconnu, fondamentalement anti-bourgeois et anti-capitaliste, représenté notamment par la bande à Bonnot. La maquette est splendide, c’est du « crime » avec un système d’horloge, une tension entre idéalisme et bas instincts, bref, tout ce que j’aime. Je ne comprends pas comment il n’a pas arraché la première place du podium !
Petite mention pour Meurtre au dîner [arrivé 5e], parce que j’adore les murder parties et que je déplore leur disparition du paysage rôliste français.
Écosse, 1917.
Lors d’un dîner à Coral Manor, l’hôte de la soirée est assassiné. Hélas, le coupable ne peut être que l’un des convives.
Scotland Yard a été appelé. En attendant, les convives peuvent enquêter et pincer le coupable. Ils vont devoir se cuisiner les uns les autres, pendant le repas.
3FF conv
Quel souvenir gardes-tu de la 3FF-conv, où l’on joue aux JdR des Défis ?
L’inconvénient d’avoir une vie bien chargée est que je n’ai pas le temps de participer à la 3FF-conv, qui tombe chaque année à une période peu propice.
Le Défi
Quel bilan tires-tu de ta participation au Défi PTGPTB Trois Fois Forgé de cette année ?
C’était intense. En dépit de la semaine supplémentaire accordée pour la troisième forge, j’ai terminé dans la douleur. Malgré ça, j’ai lu des tas de jeux aux super- propositions, comme Spectacle pour Rhinocéros (de Meeple) qui parle du métier d’artiste de théâtre dans un régime autoritaire, ou le renversant Time//Hackerz (de KcoQuidam) pour jouer des cambriolages à la chronologie non-linéaire.
C’est aussi curieux de constater que les retours sont rarement corrélés avec mon ressenti sur une forge. La troisième forge que j’ai préféré écrire (Exsilio, du sixième Défi 3FF) est aussi celle qui est arrivée le plus bas dans le classement (8e). À l’inverse, je n’aurais pas parié sur Director’s Cut cette année, parce que c’est un jeu que je ne m’imagine pas faire jouer régulièrement. Et pourtant, il a gagné.
Bref, comme chaque année, c’est stimulant, enrichissant et déroutant à la fois.
Participeras-tu au défi 2025 (jeux de première étape à rendre au plus tard le 14 octobre) ?
Il faut se retirer sur une victoire, non ? Blague à part, comme chaque année, je ne sais pas. J’ai failli me planter cette année sur la troisième forge faute de temps et d’inspiration. J’aimerais continuer à participer en tout cas, j’ai encore des tonnes de concepts à balancer en première forge pour torturer mes camarades.
Expression libre ?
Créez ! Créez des trucs biens, créez des trucs nuls, créez pour le plaisir de la création. La période que l’on vit est une prison désagréable, la création est un acte d’évasion salutaire.
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